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Tribune libre de Denis Parest : Propos désobligeants sur le non-cumul des mandats

Le non-cumul des mandats… combien de campagnes électorales ont abordé ce sujet ? L’objectif est simple (simpliste) en apparence : lutter contre la coupure ressentie par tous et de manière croissante entre les élus et le peuple, en évitant d’avoir une classe politique professionnelle coupée des réalités.

La majorité socialiste a fini par mettre le projet à l’ordre du jour du parlement ; à l’heure où j’écris ces lignes, on vient d’apprendre que les sénateurs avaient plus ou moins sabordé le texte à leur profit.  Sans préjuger de l’issue finale des débats, la bonne intention a du plomb dans l’aile.

Sans se pencher sur le détail du texte, qui n’a après tout que peu d’importance, qu’il me soit permis ici de livrer quelques réflexions à contre-courant sur ce marronnier électoral.

Il est difficile d’ignorer à quel point un régime politique qui confie aux élus (et non au peuple qui les nomme) la définition de leurs propres prérogatives et de leur propre statut est intrinsèquement vicié et antirépublicain (en dehors d’être idiot : demande-t-on à un sage de scier la branche sur laquelle il est assis ? mais la foule rend stupide, dixit Gustave Lebon). C’est le symbole même du caractère oligarchique d’un régime, par la confiscation de la souveraineté populaire. Quis custodiet ipsos custodies, demandait Juvénal : qui surveillera les surveillants ? A l’heure où l’Empire succède à la République, la question se pose avec plus d’acuité.

La question, même si elle revient périodiquement dans les campagnes électorales, est assez récente. Des députés-maires ou des sénateurs-maires, il y en avait au 19e siècle, chez Balzac et chez Zola, personne ne s’en émouvait. Il y avait quelque chose, sinon de sain, en tous cas de logique dans cette progression géographique : Paris comme l’ultime conquête ; le Graal étant bien entendu, après avoir siégé à l’Assemblée, d’obtenir un maroquin ministériel. L’élu venait de quelque part, et finissait généralement par y retourner.

En réalité, la question ne se pose guère que depuis que l’on a multiplié les collectivités locales, chacune munie d’un organe délibératif et de dirigeants. Par les lois Defferre de décentralisation, les communautés de communes, syndicats communaux, établissements publics etc., le nombre de mandats locaux a augmenté de manière exponentielle, souvent occupé par les personnes qui occupaient les mandats plus traditionnels au sein de la commune. Puis un jour, les cartes de visites des élus sont devenues trop petites pour que l’on y énumère leurs multiples et incompréhensibles fonctions, et ça a fini par faire désordre.

Assez logiquement, cela signifie que le problème du cumul des mandats a été en réalité créé par la même classe politique (c’est-à-dire pour partie les mêmes personnes – regardez les trombinoscopes des gouvernements Mitterrand) qui veut aujourd’hui le remettre en cause après en avoir, n’en doutons pas, grassement profité, puisque tout travail mérite salaire.

Admettons que le texte passe et que le cumul soit désormais interdit (avec quelques exceptions, puisqu’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, voir ci-dessus). Quelles en seraient les conséquences ?

Immédiatement, probablement aucune. On ne demandera à aucun maire, aucun député ou aucun président de communauté de commune de démissionner dans les huit jours sous peine d’empalement, on leur laissera jusqu’à la fin de leur mandat. Pour organiser la suite de leur carrière, s’entend.

Pour celui qui ne renouvellera pas un mandat, la solution sera toute trouvée s’il a 55 ans ou plus (ce qui est le cas des décideurs du début des années 80) : faire valoir ses droits à pension (les élus ayant un régime social à part). Comme un ministre a droit à une pension quand il quitte le gouvernement, comme un député battu a droit à une pension : il serait bien injuste que le niveau de vie d’un élu dépende de la bonne volonté du peuple. Le contribuable paiera donc non seulement pour les personnes en place, mais également qui auront pris une retraite forcée en application de la loi. A combien s’élèvera la facture ? Nul ne peut le dire, pour l’instant. En tout cas, personne n’est perdant, bien au contraire. Sauf le contribuable, mais qui s’en préoccupe ?

Bien entendu, celui qui aura renoncé à un mandat se trouvera de fait en situation de grande précarité : que faire si les électeurs finissent par lui retirer son gagne-pain ? La solution est simple : placer un homme de paille sur un de ses anciens mandats et le dégager dès que nécessaire. C’est ce que font déjà les ministres démissionnaires remplacés à l’assemblée par leurs suppléants, on ne changera pas les bonnes habitudes.

Mais l’objectif initial (rapprocher les élus du peuple en évitant la professionnalisation à outrance de la vie politique) sera-t-il atteint ? La réponse est non, bien au contraire. Car c’est justement l’inverse qui se produira.

D’un côté, l’élu local qui aura des ambitions nationales devra, dès qu’il aura gagné un siège à Paris, quitter son territoire d’origine, ou n’y garder qu’une fonction secondaire en plaçant un homme de paille à sa place. Le “Drang nach Paris” entraînera obligatoirement un déracinement de l’élu. Objectif manqué.

Mais surtout, l’éloignement des élus nationaux du terrain aura immanquablement pour conséquence de les garder sous la coupe des véritables décideurs politiques, chefs de partis et autres. Que l’on se rappelle du Versailles de Louis XIV et du rôle qu’avait la Cour : attirer et tenir autour du Roi les nobles du Royaume afin de les empêcher d’agir dans leurs fiefs, et d’éloigner à jamais le spectre de la Fronde qui avait tant marqué le jeune monarque. Ce n’était pas un hasard.

Ce parallèle historique est le plus pertinent pour bien saisir la véritable volonté politique à l’œuvre derrière ce projet. La gauche, en réponse au présidentialisme sarkozyste, a toujours joué la carte du renforcement du Parlement. Le projet de non-cumul permettra, dans les faits, de compenser la libération institutionnelle du Parlement (qui n’est qu’une règle écrite sur le papier) par un contrôle individuel de ses membres.

Les conséquences réelles de la réforme seront donc l’exact opposé de ce qui est présenté. Mais lorsqu’on se souvient que le problème a été créé par ceux-là même qui prétendent y répondre, on ne peut s’empêcher d’y voir, non pas un hasard malheureux, mais une volonté claire de renforcer un pouvoir oligarchique et oppressant, qu’il est devenu urgent de couper d’un peuple décidément bien peu obéissant.

Tribune libre de Denis Parest pour Infos-Bordeaux

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