Sport, Tribune libre

De la défaite au désastre : Tribune libre de Denis Parest

Ce n’est pas un scoop : l’épopée de la bleusaille en Afrique du Sud a tourné au fiasco. Non pas que l’équipe labellisée France ne compte aucun joueur de talent, leurs résultats en club en témoignent. La faute peut-être à un encadrement complètement largué, à des joueurs dont l’individualisme s’accommodait mal du concept d’équipe. Peut-être à d’autres problèmes, que la raison connaît mais que la législation interdit d’évoquer ici. Mais cette branlée magistrale, qui, simplement sur le plan sportif, dépasse en ampleur les pronostics des pires Cassandre, a donné lieu à des réactions politiques particulièrement symptomatiques des maux qui pourrissent notre époque.

“L’Etat doit prendre toutes ses responsabilités”, a tonné Roselyne Bachelot, ministre des ballons et des vaccins surnuméraires. La même Roselyne qui était allée jouer les mères Fouettard dans les vestiaires de l’équipe, où elle prétend en avoir fait pleurer certains (notons au passage que l’on peut pleurer de beaucoup de choses, et que le fou-rire contenu en est un excellent facteur). Puis de réclamer à mots à peine voilés la démission du président de la Fédération française de football, et d’annoncer un “Grenelle du football”.

Que le lecteur me pardonne d’ignorer les liens exacts, tant en terme d’influence que de finance, entre le ministère de la jeunesse et des sports et la FFF. Il est en revanche à peu près certain que cette dernière n’est pas un service administratif placé statutairement sous la tutelle du ministre. Comment donc comprendre que l’Etat, devant la débâcle d’une équipe, tente de prendre en main des prérogatives qui ne lui appartiennent pas ? Quelles sont les prétendues “responsabilités de l’Etat” dans le football ? Les intérêts politiques peuvent être multiples : on a notamment tablé sur un regain de popularité du président similaire à l’état de grâce qu’avait pu connaître son prédécesseur douze ans auparavant ; la paix sociale dans les cités, un peu plus d’anti-communautarisme, sans doute. Mais la raison philosophique, la cause finale, est bien plus inquiétante : l’Etat s’immisce partout, dès qu’il en a l’occasion, dès qu’un sentiment médiatique de déception, de dépit, de colère, d’incompréhension semble poindre aux heures de grande écoute. C’est cette même cause qui pousse notre président à se précipiter sur les lieux des inondations en annonçant tout de go que les zones inondables ne seraient plus constructibles (sans s’interroger sur la réglementation actuelle, pourtant appliquée par l’Etat qu’il représente). Ou qui pousse le moindre ministre à annoncer une nouvelle loi, une nouvelle taxe ou de nouvelles sanctions au moindre fait divers.

Très souvent, on en blâme les médias, que l’on accuse de faire leurs choux gras de faits divers sordides. Ce n’est pas faux et eux-mêmes le reconnaissent (errare humanum est, sed perseverare diabolicum, paraît-il). Mais y voir une cause de l’emballement politique implique que les politiciens soient aussi stupides que les lecteurs compulsifs de la rubrique des chiens écrasés. La dictature médiatique est avant tout un Etat dont les dirigeants sont aussi dénués de sens que la majorité de leurs administrés, ce défaut étant multiplié par le prisme électoral et cultivé jusqu’à la perversion par le microcosme endogame dont sont issus les intéressés. La sagesse dicterait qu’il faut se souvenir que le football n’est qu’un jeu, dans lequel la défaite n’est guère infamante. Que le risque fait partie de la vie. Que la justice est chargée de juger. Et surtout qu’un gouvernement est sensé gouverner, et non pousser des cris d’orfraie à la moindre occasion.

“Un gouvernement est sensé gouverner”, écris-je ci-avant. Je m’en voudrais presque pour ce truisme, mais que signifie encore “gouverner” ? Est-ce “diriger”, au sens de “montrer la direction” (comme dans le mot “gouverne” ou “gouvernail”) ? Ou est-ce régir, administrer, réglementer, nationaliser ? L’Etat actuel a clairement choisi cette voie. L’on m’objectera que tout est une question de mesure. Mais de quelle mesure peuvent faire preuve des politiciens décérébrés au point de traiter une défaite sportive comme une défaite militaire ? Les politiques de nationalisations menées depuis la seconde guerre mondiale par des politiciens autrement plus cultivés et intelligents que l’intelligentsia moderne avaient un but précis et répondaient à un objectif clairement défini, quoi qu’on en pense par ailleurs. La nationalisation du football ne répond à aucun objectif, à aucun projet, à aucune vision, sinon la perspective absconse d’un Leviathan universellement bienfaiteur qui s’octroierait le droit de punir les Méchants, récompenser les Gentils et moucher le nez des défavorisés. Cet avenir-là, des centaines de millions de personnes l’ont déjà vécu, un peu plus à l’est. Nombre d’entre elles en ont péri. Et ça n’a pas marché.
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